2 octobre : le jour d’après

Écrit par Mahtat Rakas
Pour les cinéphiles, «Le jour d’après» renvoie à un film de Roland Emmerich, sur les catastrophes naturelles suite à un dérèglement climatique. Pour les historiens des élections au Maroc, le scrutin du 2 octobre aura bien son jour d’après qui dit l’ampleur non pas d’une catastrophe naturelle cette fois, mais d’un gigantesque scandale qui entachera pour longtemps l’action politique et amènera les démocrates sincères à se poser des questions de fond sur le fonctionnement électoral inhérent à la deuxième chambre, voire des questions sur l’existence même de cette institution.
Au lendemain, en effet, du scrutin du 2 octobre qui clôt un processus électoral ayant abouti à la nouvelle configuration de la chambre des conseillers, les différents acteurs du champ politique, syndical et professionnel s’attèlent à une tâche non moins importante, celle d’évaluer ce processus, ses résultats et surtout les conditions qui ont présidé à son déroulement. Au-delà du triomphalisme des uns et de l’amertume des autres, il s’agit de pointer du doigt ce qui risque de nuire à l’ensemble de l’édifice démocratique.
Et à ce niveau, il faut reconnaître, hélas, que le scrutin du 2 octobre a constitué un véritable bond en arrière, ramenant les questions que l’on croyait, un peu vite, avoir dépassé.
Le titre générique qui a convient à ce semblant de scrutin est «scandaleux», ce qui a fait de ce vendredi saint, une journée triste pour la démocratie c’est le retour de pratiques d’achats de voix et d’investissement de sommes faramineuses pour s’assurer de la victoire. Dérisoire victoire des uns, amère défaite pour la politique. Toute la ville en parle. Dans les réunions privées comme dans certains cercles politiques, il n’était question que de ce retour massif de l’argent sale dans le processus électoral.
Des comportements scandaleux qui sont effectivement de la nature d’un «dérèglement climatique» qui risque d’aboutir à une catastrophe de grande ampleur. Ce qui s’est passé ce vendredi là dépasse les possibilités de recours qu’offrent les textes en vigueur qui se sont vu battus en brèche. Il s’agit désormais d’interroger la nature même de ces textes et au-delà les lois organiques qui les inspirent.
L’ampleur des dégâts possibles sur le jeune édifice démocratique nous amène à s’interroger sur l’utilité même de l’existence cette deuxième chambre sur notre échiquier institutionnel. Le pari dans lequel s’est engagé notre pays pour la réussite de sa transition démocratique vers un système fiable, transparent et au service des citoyens ne peut supporter en effet l’existence d’un double rythme, avec d’un côté une dynamique parlementaire, portée par l’expression libre et directe des citoyens et de l’autre un système parallèle qui obéit à une autre logique entravant par la nature même de cette chambre et sa faible représentativité l’ensemble du processus.
Car finalement la grande question qui se pose est celle de quel sens cherche-t-on à donner à tout ce scénario ? Pourquoi s’acharne-t-on à entretenir les paradoxes ?
Nous avons d’un côté un scrutin direct, celui du 4 septembre qui a vu l’émergence d’une volonté populaire de réhabiliter l’acte électoral et qui s’est traduit par une carte politique légitimée par les urnes… Mais juste après nous sommes entrés dès les élections des instances régionales dans un feuilleton inspiré des schémas de l’absurde. De nouvelles cartes sont confectionnées au-delà du choix initial des citoyens. Le point paroxystique a été atteint avec les comportements cupides des grands électeurs, qui n’ont de grand que le nom, ayant versé dans des pratiques transformant l’élection en bourse de marchandage.
Nous ne jetons pas le bébé avec l’eau de son bain. Nous sommes heureux de constater qu’il y a encore des ilots des résistances avec des conseilles élus dans le strict respect de la compétition démocratique. Mais ils constituent une infime minorité face à ce tsunami marchand qui a déferlé sur le scrutin du 2 octobre. Ce qui augure d’un sombre avenir pour la pratique institutionnelle qui sera forcément bancale avec une deuxième chambre issue d’un tel scrutin.
Nous avons choisi de tirer la sonnette d’alarme, car c’est notre devoir et nous souhaitons voir réagir l’ensemble des forces vives du pays pour dire halte à cette mascarade. Il y va de la crédibilité du système et de l’intérêt (le peu qui reste encore) des citoyens pour la chose publique.
A bon entendeur salut !